Mortelle Culture n °84 : « Clown » de Le Hir
Aimez-vous le cirque, les clowns ? Derrière les strass du spectacle vivent, meurent, aiment et souffrent des êtres emmitouflés dans leur maquillage parfois… sanglant. Clown de Le Hir : un album de bande dessinée pratiquement muet qui nous plonge de l’autre côté du rideau…
Comment un gentil clown peut-il du jour au lendemain basculer dans le meurtre ? C’est ce que nous raconte Le Hir dans cet album aigre-doux où la violence des hommes pervertit toute beauté, brisant les âmes et les destins. Un album quasiment muet – ici, ni bulles ni onomatopées, juste quelques récitatifs liminaires jalonnant le récit avec parcimonie – où l’auteur entend exprimer l’action et la nature profonde des personnages par les seules images. Conte cruel sans paroles où la vision brute des événements suffit à rendre compte de ce qui est en jeu, Clown est une œuvre qui va pourtant bien au-delà du simple factuel grâce au traité visuel de Le Hir qui – par un trait simple et des ambiances colorées sensibles – insuffle poésie et émotion à chaque image.
Le personnage principal, pragmatiquement appelé « Clown », trouve un jour un bébé abandonné dans une décharge. Il adopte la petite fille qu’il nomme Zoé, et, dès lors, ces deux-là vont vivre des temps heureux malgré la misère, profondément attachés l’un à l’autre. Clown, massif et rond (rond comme son allure bedonnante, son crâne chauve et son nez rouge) et Zoé, frêle jeune fille fragilisée par la vie, vont former une drôle de famille, liés pour toujours par la vérité de leurs sentiments. Mais Zoé grandit, et Clown doit subvenir à leurs besoins. C’est ainsi qu’il se retrouve à travailler pour un cirque tenu par l’inquiétant Willy. Un drame atroce va alors survenir, en engendrant un plus atroce encore, bouleversant définitivement l’existence de celui qui est censé faire rire.
L’album en son entier est traversé par une certaine poésie désenchantée, voire désespérée, l’auteur nous entraînant sans ambages dans un engrenage où le pire, au bout du chemin, semble inéluctable. Oscillant entre Bill Watterson et Nicolas de Crécy, descendance inconsciente du Petit Cirque de Fred, Clown nous fait découvrir avant tout l’univers contrasté d’un auteur qui revient aux fondamentaux de la narration, les images se suffisant à elles-mêmes pour donner tout son sens au récit. Le travail chromatique y joue un rôle primordial, instaurant un climat plus implacable que les mots ; nous avons bien affaire à une œuvre atmosphérique. Cette histoire d’amour et de tristesse ne verse pourtant pas dans le larmoyant, affrontant la dureté des faits avec aplomb et ne montrant que le strict nécessaire pour ne pas s’engouffrer dans la sensiblerie.
La justesse de ton dont fait preuve Le Hir dans Clown plonge le lecteur dans la véracité d’un conte au miroir brisé, puisant dans la fiction de Dickens tout autant que dans le fait divers contemporain le plus sordide. Une odyssée de petites gens où le nez du clown devient rouge sang… nous remuant quelque part, là, tout au fond.
Cecil McKinley
( Cecil McKinley tient par ailleurs la rubrique Comic Books sur BDzoom)