BD Gest – 24 mai 2012
C’est un soir d’hiver que Clown trouva Zoé… Il l’adopta…
Dans Clown, seule une voix off, économe de son verbe, vient soutenir le dessin, suffisamment rythmé et éloquent, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter de dialogues. Le plus souvent, une phrase inachevée par planche, parfois deux, exceptionnellement trois, et il n’en faut pas plus. À chacun de se construire sa bande son, à base de pas qui crissent dans la neige, de gazouillis d’oiseaux au cours d’une partie de pêche, de poisson qui frit, pour illustrer les moments champêtres et les jours heureux.
Mais, bientôt, le son de la pluie qui tombe dru s’installe, accompagné de celui de la foule urbaine, des rires d’ivrognes, des cris et enfin du tonnerre. Le lecteur a perdu le sourire lorsque l’histoire a basculé. Dans un premier temps, porté par les sonorités qui s’échappent de cet album muet, il le referme la tête embrouillée de cris étouffés et de coups sourds. Encore immergé dans le drame dont il a été spectateur, peu de chance qu’il en ressorte plus loquace que le chauve massif au nez rouge, si son entourage succombe à l’idée saugrenue de lui adresser la parole. Preuve que la lecture du récit proposé par Le Hir fils et père, pour rapide qu’elle fût, risque de mettre du temps à se décanter dans son esprit et que la narration a touché là où ils le souhaitaient.
Néanmoins, tout n’est pas parfait (doit-on regretter la perfection et son revers, celui qui tue l’émotion ?). Sur le plan graphique, l’image du Calvin de Bill Watterson affublé de couettes et d’une chevelure de feu jouant le rôle de la petite Zoé assaille le moins regardant des amateurs. L’idée, incongrue, qu’un Léon la came maquillé par Guillaume Griffon, expert en mâchoires façon requins, campe celui de l’ignoble Willy s’invite elle aussi. Pourtant, l’ambiance – plus que le charme – opère au point de se retrouver accablé, vouté comme le cheval fourbu de la couverture. Clown a quelque chose d’envoutant et finalement d’assez unique qui laisse entre deux sentiments : l’envie de s’y plonger à nouveau pour en décortiquer les mécanismes après s’être laissé porter quarante-quatre planches durant et, au contraire, la crainte qu’une relecture finisse par nous hanter durablement. Tout ça, sur la base d’une histoire qui, finalement, brille par sa simplicité. Fort.
L. Cirade